Le trafic d’animaux sauvages : le prix de la popularité sur les réseaux sociaux

Quatrième activité criminelle la plus lucrative au monde après le trafic de drogue, la contrefaçon et la traite d’humains, le commerce illégal d’espèces sauvages rapporte entre 7 et 23 milliards d’euros chaque année.[1] Une grande partie des espèces est menacée d’extinction et le trafic d’animaux sauvages est souvent considéré comme l’une des principales causes de la perte de biodiversité mondiale.[2] 

Ces dernières années, le trafic illicite d’animaux sauvages vivants explose dans de nombreux pays du monde, car le nombre de consommateurs recherchant des espèces rares grandit. Au Japon notamment, l’un des pays où le trafic d’animaux exotiques est le plus répandu, 2 % de la population vivrait avec un animal de compagnie exotique. [3] Auparavant, ce commerce se faisait principalement sur les marchés, mais depuis l’essor d’Internet, il a rapidement évolué de façon dématérialisée. Très simples d’accès, les réseaux sociaux sont alors devenus la clé pour vendre et louer n’importe quel animal. Chaque année à travers le monde, de nombreux animaux sont victimes du braconnage pour être vendus à des particuliers, au détriment de la biodiversité et du maintien des espèces. Le système judiciaire est laxiste face aux trafiquants et aux braconniers, alors que près de 25 % des espèces animales sauvages sont au bord de l’extinction.[3]

Une étude réalisée en octobre 2018 au Japon par TRAFFIC (Trade Records Analysis of Flora and Fauna in Commerce), une organisation qui lutte contre le trafic d’animaux exotiques, a révélé un véritable boom dans la détention en captivité de loutres sauvages par les particuliers japonais. Des programmes et des séries télévisées japonais, ainsi que leur promotion sur les réseaux sociaux, ont largement contribué à cette popularité, en présentant des célébrités vivant aux côtés de loutres, des animaux victimes du braconnage, majoritairement en provenance de Thaïlande.[4]

En février 2021, le journal Libération a publié un article dénonçant le phénomène de mode des félins de compagnie sur les réseaux sociaux. De nombreuses célébrités, telles que Memphis Depay, le rappeur Lacrim ou Gims ont posté des photos et des vidéos sur Instagram, Twitter et Snapchat, avec des fauves. Maddy Burciaga, une candidate de télé-réalité, a même mis en avant un faux partenariat avec la Fondation Brigitte Bardot en 2020, un lionceau dans les bras, afin de promouvoir sa marque de cosmétiques. Les réseaux sociaux sont ainsi devenus de véritables vitrines pour faire la promotion du commerce illégal d’animaux sauvages.[5]

Compte Instagram de Memphis Depay, footballeur international néerlandais

Ces dernières années, la détention des guépards est d’ailleurs devenue tendance aux Émirats arabes unis et au Koweït. Capturés directement dans la savane africaine, ces animaux pourtant inscrits aux annexes CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction), sont mis en vente sur Internet. Cheetah Conservation Fund (CCF), une association fondée en 1990 pour sauvegarder le guépard à l’état sauvage, a réalisé une étude entre janvier 2012 et juin 2018 sur le commerce de cet animal dans le monde. L’étude montre que 1 367 guépards ont été proposés à la vente, soit 20 % de la population mondiale. Transférés directement chez les clients, 30 à 40 % d’entre eux ne survivent même pas au transport. Une fois arrivés à destination, leur survie n’en est pas plus certaine. Retenus captifs dans les maisons, appartements ou pièces spécifiques et mal nourris, les animaux tombent rapidement malades, et décèdent souvent en quelques années. Ainsi, en un siècle, leur population à l’état sauvage a diminué de 92,5 %, passant de 100 000 individus à 7 500.[6] Patricia Tricorache, experte du commerce illégal d’espèces sauvages, explique qu’il s’agit d’une extermination des espèces par le “like”, tout ça pour la popularité en ligne.[7] Ainsi, si la détention de tels animaux continue à être banalisée sur  Internet, le guépard pourrait disparaître de la surface de la Terre d’ici moins de 30 ans.

Malgré la protection internationale assurée par la CITES pour faire face à ce commerce destructeur et le combat d’associations de conservation et de sauvetage des animaux sauvages, de nombreuses espèces continuent d’être braconnées et vendues à des particuliers sur Internet chaque année. Peut-être que, sans le vouloir, vous participez aussi à ce trafic, en likant des vidéos d’animaux mignons sur les réseaux sociaux… qui sont probablement en réalité victimes de cet immense commerce. Il est alors crucial de sensibiliser le public et de renforcer les mesures de protection pour préserver la faune sauvage. Si nous ne le faisons pas, nous pourrions faire face aux conséquences dramatiques de la disparition de nombreuses espèces de notre planète dans les années à venir…


[1] WWF. « Lutter contre la criminalité liée aux espèces sauvages ». Lutter contre la criminalité liée aux espèces sauvages | WWF France

[2] CNEWS. « Un expert de l’ONU met en garde contre une sixième extinction massive sur Terre », 03 mars 2017. https://www.cnews.fr/environnement/2017-03-03/un-expert-de-lonu-met-en-garde-contre-une-sixieme-extinction-massive-sur

[3] D. Bergin, W. Meijer, T. Cheng, G. Mei, E. Kritski. « Study Unveils Consumer Motivations for Exotic Pets in Japan – Wildlife Trade Report from TRAFFIC », 7 décembre 2021. https://www.traffic.org/publications/reports/study-unveils-consumer-motivations-for-exotic-pets-in-japan/

[4] AAP English. « Wildlife trafficking ». https://en.aap.eu/what-we-do/wildlife

[5] Schaub, Coralie. « Selfies, caresses : derrière l’amour des bêtes sauvages, l’amer trafic ». Libération, p.24 à 25, 20 février 2021. https://www.liberation.fr/environnement/biodiversite/selfies-caresses-derriere-lamour-des-betes-sauvages-lamer-trafic-20210220_26QWEWT46VCF7MO7YHLQ3HZE6Y/

[6] Personnel du CCF, Cheetah Conservation Fund. « Cheetah Conservation Fund Data Analysis Confirms Social Media Role in Advertising Illegal Wildlife Trade, Including Trafficking of Cheetahs for Illegal Pet Trade • Cheetah Conservation Fund », 27 septembre 2018. https://cheetah.org/press-releases/cheetah-conservation-fund-data-analysis-confirms-social-media-role-in-advertising-illegal-wildlife-trade-including-trafficking-of-cheetahs-for-illegal-pet-trade/

[7] Bruno Meyerfeld. « La survie des guépards menacée par la mode des félins de compagnie ». Le Monde, 19 janvier 2019. https://www.lemonde.fr/international/article/2019/01/19/la-survie-des-guepards-menacee-par-la-mode-des-felins-de-compagnie_5411453_3210.html