Le consentement animal

Introduction

« On peut toujours reconnaître une personne à la façon dont elle pose ses mains sur un.e animal.e », a déclaré Betty White. 

Poser ses mains sur un.e animal.e… C’est un geste apparemment anodin, un acte de la vie quotidienne. Pourtant, cela va à l’encontre d’un des principes fondamentaux qui régissent notre société : le consentement. Depuis quelques années, le consentement est sur toutes les lèvres. Au sein du mouvement féministe, il est un élément clé de la lutte pour la libération des femmes et l’autonomie corporelle, ainsi que pour la reconnaissance et la sanction des atteintes à l’intégrité corporelle et des agressions sexuelles.

Mon engagement dans le militantisme, avant tout, et en particulier avant la cause animale, s’est concentré sur le féminisme. En tant que fervente féministe, j’accorde une grande importance au consentement et à son respect. Plus tard, j’ai pris conscience de l’intersectionnalité des luttes féministes et antispécistes, et leur imbrication m’est apparue clairement, notamment à travers le prisme du consentement sexuel et corporel. Mais alors que le consentement des femmes fait régulièrement la une des journaux, ce qui est déjà un grand pas en avant, le consentement des animaux.ales (et en particulier des femelles) n’est jamais mentionné… à tel point que l’on pourrait penser que, pour la majorité des humain.e.s, l’idée même que les animaux.ales puissent consentir – ou non – ne leur est jamais venue à l’esprit. 

Dans cet article, j’aimerais ainsi mettre l’accent sur ce sujet trop souvent ignoré : le consentement animal.

I – La notion de consentement

Définissons la notion de consentement. Selon le dictionnaire de Cambridge, le consentement est « la permission ou l’accord », « accepter de faire quelque chose ou permettre à quelqu’un de faire quelque chose ». [1]

Ces derniers temps, compte tenu de la montée en puissance du mouvement féministe (#MeToo entre autres), le consentement est beaucoup utilisé lorsqu’il s’agit de relations sexuelles. Tout acte sexuel, et plus généralement tout contact corporel intime, doit être accepté par tou.te.s les participant.e.s. Le consentement sexuel comporte trois éléments nécessaires : il doit être clair, libre et éclairé. [2]

– Clair : par ses mots (« oui ») et ses gestes (sourire), la personne doit manifester clairement son accord. Une personne qui ne résiste pas mais reste silencieuse ou ne fait rien n’est pas clairement consentante.

– Libre et éclairé : sans recours à la force, aux menaces, aux mensonges, à l’abus de pouvoir ou de confiance. 

Une personne endormie, inconsciente, gravement sous l’influence de l’alcool ou de drogues, ou n’ayant pas l’âge minimum requis ne peut en aucun cas donner son consentement. Enfin, le consentement est spécifique (vous pouvez consentir à un acte spécifique et pas à un autre) et révocable : vous avez le droit de changer d’avis.

Le consentement implique l’utilisation du langage, qu’il soit verbal ou physique. Par exemple, au Népal et en Inde, les gens inclinent la tête de droite à gauche pour montrer leur accord, alors que dans la plupart des pays européens, on hoche la tête de haut en bas. La question du consentement des enfants, mais aussi des personnes séniles ou handicapées mentales, ne fait pas consensus et prête encore au débat. Un exemple illustratif est la variation de l’âge minimum légal du consentement à une activité sexuelle dans les pays européens, qui varie entre 14 et 18 ans.

Même le « statut » du consentement n’est pas si clair : s’agit-il d’un droit ? Une liberté ? Si l’on prend l’exemple de la France, le consentement n’est pas vraiment défini comme un droit en soi, puisqu’il n’est pas inscrit dans la Constitution. Mais selon l’UNFPA  (agence des Nations Unies pour la santé sexuelle et reproductive), « le consentement est inséparable des droits de l’homme et de la femme », à travers le droit à l’autonomie corporelle : « L’autonomie corporelle – la capacité des personnes à faire leurs propres choix concernant leur corps, y compris sur les questions relatives aux soins de santé, à la contraception et à l’opportunité d’avoir des relations sexuelles – n’est pas seulement un droit de l’homme et de la femme, mais le fondement sur lequel les autres droits de l’homme et de la femme sont construits. Il est inclus dans les accords internationaux sur les droits, notamment le programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Le droit à l’intégrité corporelle est étroitement lié à l’autonomie corporelle, ce qui signifie que les personnes peuvent vivre sans subir d’actes physiques auxquels elles ne consentent pas » [3]. Ainsi, je pense que le consentement est un droit fondamental : le droit de donner son consentement et, plus important encore, le droit que mon consentement soit respecté.

Le consentement est un point crucial dans le traitement médical. Il est appelé « consentement éclairé » et défini comme « la décision prise par un individu capable, qui a reçu les informations nécessaires, qui les a pleinement comprises et qui, après les avoir examinées, est parvenu à une décision sans avoir été soumis à l’intimidation, à la pression ou à l’influence » par FHI 360 [4]. Le code d’éthique médicale de l’AMA souligne son importance en l’associant à un droit : « Les patient.e.s ont le droit de recevoir des informations et de poser des questions sur les traitements recommandés afin de pouvoir prendre des décisions réfléchies sur les soins » [5].

Si l’on raisonne en termes d’intersectionnalité, il est évident que les luttes contre l’oppression des femmes par les hommes et l’oppression des animaux.ales non humain.e.s par les humain.e.s sont étroitement liées et que la notion de consentement est l’un des principaux problèmes du sexisme et du spécisme, notamment parce qu’ils nient tous deux le consentement et le droit de contrôler son propre corps, et en particulier le corps des femmes.

Alors que le consentement fait fureur dans les discussions sur le féminisme et le sexisme pour la libération du corps des femmes, il me semble que c’est le grand oublié des discussions sur les droits et le bien-être des animaux.ales. Alors, comment définir le consentement des animaux.ales non humain.e.s ? Comment est-il perçu et utilisé dans la société actuelle ?

II –Focus sur le consentement des animaux.ales

    Le consentement est une construction humaine liée à la moralité. La première question couramment posée lorsqu’il est question du consentement des animaux.ales est celle de la moralité : les animaux.ales sont-ils/elles des êtres moraux ?

    Discutons de la notion d’« agentivité », qui est utilisée pour décrire une personne, un.e animal.e ou même une chose qui agit pour produire un résultat spécifique. Il est important de distinguer l’agentivité causale, qui est une sorte de réflexe : par exemple, tendre la main pour empêcher votre enfant de tomber, et l’agentivité intentionnelle qui implique une action intentionnelle et donc des représentations mentales telles que les désirs, l’intention, la planification… 

    Vient ensuite le concept d’agentivité morale, utilisé pour un être qui est capable d’une action morale (bonne ou mauvaise) et qui peut en être tenu pour responsable. La question de l’agentivité des animaux.ales est un sujet à part entière et ne sera pas traité en détail ici. Mais la pensée contemporaine suggère que les animaux.ales (du moins certaines espèces) sont capables d’agentivité : « Des animaux.ales tel.le.s que les singes, les dauphin.e.s et les éléphant.e.s peuvent exprimer leur volonté de poursuivre librement leurs intérêts (assentiment) ou, par leur désapprobation et leur résistance, leur désaccord, ce qui constitue une démonstration de leur capacité d’agentivité » [6]. 

    La reconnaissance de l’intentionnalité et de l’agentivité morale des animaux.ales signifie que nous pouvons maintenant nous concentrer sur leur consentement. Ce document explore trois aspects du consentement animal : le consentement médical, le consentement au travail et le consentement corporel. Ce n’est évidemment pas suffisant pour couvrir toutes les notions de ce concept très complexe, mais cela permet déjà de développer une réflexion pertinente.

    Le consentement médical

    La question du consentement des animaux.ales est présente dans le domaine vétérinaire. À l’instar du consentement médical qui existe pour les humain.e.s, les traitements médicaux sur les animaux.ales nécessitent un consentement. En médecine vétérinaire, on utilise la notion de « consentement éclairé du/de la propriétaire ». Le consentement éclairé du/de la propriétaire est défini comme « le consentement éclairé donné à un.e vétérinaire ou à son auxiliaire par le.a propriétaire d’un.e animal.e pour l’évaluation et le traitement médical et/ou chirurgical de cet.te animal.e » (College of Veterinarians of Ontario) [6].

    De cette manière, le consentement du/de la patient.e recevant les soins (l’animal.e) est transféré à son/sa « propriétaire », terme que je mets entre guillemets car il est problématique en soi. Les animaux.ales ne sont pas considéré.e.s par les humain.e.s comme des décideur.se.s. Certes, il n’est pas évident que l’animal.e puisse donner un avis éclairé sur son état de santé et le traitement qu’il/elle devrait recevoir. Mais le principe même du « consentement éclairé du/de la propriétaire » réduit l’animal.e au seul statut de propriété. Cela pose la question des intérêts de l’animal.e et de son/sa « propriétaire », notamment en ce qui concerne les coûts financiers : un.e « propriétaire » peut refuser un traitement pour son animal.e de compagnie dans le besoin parce que le prix serait trop élevé. Pour les animaux.ales d’élevage en particulier, la notion de « consentement éclairé du/de la propriétaire » devient davantage un calcul des bénéfices/risques basé sur les performances de l’animal.e qu’une prise en compte réelle de son bien-être.

    En ce qui concerne les traitements médicaux, le zoo Woodland Park de Seattle a mené une expérience intéressante sur le consentement des animaux.ales. (Le concept de zoo et le bien-être des animaux.ales dans un zoo est un sujet distinct que je n’aborderai pas ici). En général, les animaux.ales des zoos sont vacciné.e.s sous anesthésie ou sous contention. Cette pratique ne nécessite évidemment pas leur consentement. Le but est de neutraliser les animaux.ales pour agir sur leur corps, sans qu’ils et elles puissent exprimer un quelconque accord ou désaccord. Leur langage corporel est totalement inhibé.

    Le Woodland Park Zoo de Seattle souhaitait que ses animaux.ales reçoivent des vaccins « volontairement », c’est-à-dire qu’ils et elles donnent leur consentement. Pour ce faire, les animaux.ales sont entraîné.e.s à recevoir des injections. Les soigneur.se.s augmentent progressivement la taille et l’inconfort des injections afin que les animaux.ales s’y habituent. Ils/elles utilisent des outils allant du coton-tige à la brochette et ne passent pas à l’étape suivante tant que l’animal.e n’est pas à l’aise avec l’outil actuel, c’est-à-dire qu’il/elle ne réagit pas (ou très peu). Les animaux.ales sont systématiquement récompensé.e.s par de la nourriture qu’ils/elles apprécient. Et surtout, il n’y a pas de représailles pour les animaux.ales qui ne veulent pas participer. Si l’animal.e montre des signes d’anxiété ou de douleur, le dressage est immédiatement interrompu. Le comportement de l’animal.e (langage corporel) est donc scruté et analysé tout au long de la séance par le.a soigneur.se, afin de tenter de déchiffrer son consentement.

    Les soigneur.se.s du Woodland Park utilisent ces pratiques non seulement pour la vaccination, mais aussi pour la plupart des soins médicaux, tels que les prises de sang. Ils et elles estiment que « le fait de donner aux animaux.ales le choix et la possibilité de participer à leurs soins améliore leur santé et leur qualité de vie », parce que ceux/celles-ci sont plus détendu.e.s, plus confiant.e.s et que leur relation avec leur soigneur.se s’en trouve améliorée.

    Mais s’agit-il vraiment d’un « consentement éclairé » au sens où on l’entend pour les humain.e.s ? On injecte à ces animaux.ales un produit sans qu’ils/elles sachent ce qu’il contient, ses effets sur leur organisme, ses risques à long terme : toutes les informations normalement requises pour un consentement éclairé. Et l’on peut légitimement s’interroger : la coopération de ces animaux.ales n’est-elle pas uniquement motivée par le désir de recevoir une récompense ?

    Bien entendu, il est illusoire d’essayer d’atteindre le même niveau de compréhension qu’avec un.e patient.e humain.e. Selon Rachel Salant, spécialiste du comportement animal, cette forme de consentement obtenue par Woodland Park constitue déjà une grande amélioration : « Personne n’a le choix à 100 % dans tout ce qu’il/elle fait – vous ne l’avez pas, je ne l’ai pas, les animaux.ales à l’état sauvage ne l’ont pas. Mais augmenter votre perception du choix augmente déjà votre bien-être ».

    Cependant, dans le contexte du zoo, peut-on vraiment supposer que les animaux.ales ont le choix ? Même la décision de les entraîner à recevoir consciemment le vaccin est une décision prise par les soigneur.se.s humain.e.s du zoo. Le consentement implique un véritable désir, une volonté, presque un enthousiasme, de réaliser l’action. Dans ce cas particulier, je préférerais nuancer en disant que « les animaux.ales permettent à un processus de se produire, plus qu’ils ne se portent volontaires pour le faire » [7].

    Le consentement au travail

    En dehors du contexte médical, le consentement est également une question importante pour les animaux.ales qui travaillent, que ce soit dans le tourisme ou dans la recherche et l’expérimentation. 

    Prenons l’exemple du tourisme. De nombreux.ses animaux.ales travaillent dans le tourisme. Les chien.ne.s de traîneau, par exemple. Mais contrairement aux lois qui protègent les travailleur.se.s humain.e.s, les animaux.ales de tourisme sont souvent considéré.e.s comme de simples objets que l’on peut remplacer et interchanger à volonté. Il n’existe pas de contrat régissant leur bien-être ou leur accordant des congés ou un salaire. Mais pire encore, on ne leur demande même pas leur consentement.

    Certes, signer un contrat de travail avec un.e chien.ne n’est pas chose aisée. Mais un point de vue intéressant serait de leur donner le statut de « partie prenante » pour que leurs intérêts, et notamment leur consentement, soient reconnus, et pour les protéger de toute forme d’abus. « Alors que le statut de « personne » est embourbé dans des dilemmes moraux, juridiques et opérationnels, la théorie des organisations permet de considérer les chien.ne.s de traîneau comme des parties prenantes en raison de leur rôle vital dans le succès de l’entreprise, à l’instar des fournisseur.se.s et des client.e.s. En permettant aux chien.ne.s de choisir et en leur prodiguant des soins, on apprend à connaître véritablement ces animaux.ales afin d’être ouvert.e à la façon dont ils et elles nous communiquent leur agentivité et leur état de bien-être. » [6]

    Les défenseur.se.s des promenades touristiques en chien.ne.s de traîneau font valoir que les chien.ne.s aiment tirer le traîneau et qu’ils/elles ont besoin de cette activité physique intense pour leur bien-être. Dans ce cas, ces personnes ne devraient pas voir d’inconvénient à laisser le choix aux chien.ne.s et à s’assurer de leur consentement. 

    Dans cette étude [6], l’auteur distingue trois niveaux de consentement éclairé des animaux.ales : actif, passif et pas de consentement, en fonction de plusieurs critères : la nutrition, les conditions physiques de l’environnement, l’état de santé et les interactions comportementales avec l’environnement, les autres animaux.ales et les humain.e.s.

    Sans surprise, les chien.ne.s qui reçoivent une alimentation suffisante et de qualité, qui sont en bonne condition physique, qui vivent dans un environnement propre et sain, et avec lesquel.le.s les maîtres ou maîtresses tissent des liens étroits ont tendance à consentir avec enthousiasme au travail, alors que les chien.ne.s qui souffrent de privation de nourriture, d’une qualité de vie dégradée, de blessures physiques et psychologiques, et dont les maîtres et maîtresses utilisent des punitions qui impliquent la peur et la douleur, seront réticent.e.s à travailler.

    Encore une fois, même dans le cas de chien.ne.s en bonne santé et enthousiastes à l’idée de travailler, on peut se demander s’il s’agit vraiment d’un consentement éclairé au travail… Les chien.ne.s ne préfèrent-ils/elles pas courir en liberté, sans harnais, sans devoir tirer un traîneau derrière eux/elles et sans devoir suivre un itinéraire déterminé ?

    Même si les chien.ne.s semblent enthousiastes au moment d’être harnaché.e.s, de mon point de vue, c’est à l’idée de courir qu’ils/elles consentent, pas au travail. Pour s’en assurer, il faudrait savoir s’ils/elles ont la possibilité de courir pendant leur temps de repos, ce dont je doute. Pour distinguer un véritable consentement éclairé au travail (tirer un traîneau), les chien.ne.s devraient pouvoir courir librement quand ils/elles le souhaitent, mais ils/elles devraient quand même être enthousiastes à l’idée de s’atteler au traîneau.

    Consentement « sexuel » et autonomie corporelle dans l’élevage

    Passons maintenant à l’élevage intensif, et plus particulièrement aux industries des œufs et des produits laitiers. Bien sûr, dans l’industrie de la viande, aucun.e animal.e ne consent à être tué.e pour être mangé.e… Cependant, il est courant de penser que les industries des œufs et des produits laitiers ne font aucun mal aux animaux.ales, puisque ces dernier.ère.s ne sont pas tué.e.s (du moins pas immédiatement s’il s’agit de femelles). Mais comme le souligne Carol J. Adams lorsqu’elle définit la production d’œufs et de produits laitiers comme des « protéines féminisées » [8], il s’agit d’une exploitation abusive du corps féminin et de son système reproductif, de sorte que la question du consentement se rapproche de l’autonomie corporelle et du consentement sexuel.

    En effet, les pratiques de production d’œufs et de produits laitiers renvoient à des violences sexistes et sexuelles contre lesquelles les militantes féministes se battent, exigeant la reconnaissance et le respect du droit des individus, et des femmes en particulier, à disposer librement de leur corps, qui ne doit pas être touché sans leur consentement. Cette notion d’abus sexuel est encore plus frappante lorsqu’on apprend que les enclos d’insémination artificielle pour les vaches sont appelées « rape racks », que l’on peut traduire par « enclos de viol ». On voit ici l’intersection entre féminisme et antispécisme à travers la notion de consentement aux relations sexuelles (ou disons corporelles). En lien avec les revendications féministes, la notion de consentement dans cette situation me semble primordiale.

    Ces trois situations (dans le cadre de la médecine, du travail ou de l’autonomie corporelle) m’ont permis de définir ce que l’on entend actuellement par consentement animal, d’en présenter les différents enjeux et de poser les bases de la réflexion. La question qui s’impose maintenant est la suivante : si nous reconnaissons que les animaux.ales sont capables de donner ou de refuser leur consentement, comment pouvons-nous, en tant qu’humain.e, le comprendre clairement ?

    III. En tant qu’humain.e, comment comprendre et respecter le consentement des animaux.ales ?

    La question ne devrait pas être : les animaux.ales non humain.e.s peuvent-ils/elles exprimer leur consentement ? Mais plutôt : les humain.e.s peuvent-ils/elles comprendre le consentement des animaux.ales ?

    Le consentement est souvent associé à la capacité de dire clairement oui (ou non), ce qui signifie qu’il nécessite l’utilisation du langage. Cela dit, comment les animaux.ales, qui « ne parlent pas », ou du moins dont nous ne pouvons pas comprendre le langage parlé, peuvent-ils/elles nous donner leur consentement ? Le consentement n’a pas nécessairement besoin d’un langage articulé, il peut simplement s’agir d’un langage corporel, qui est utilisé tous les jours, même par les humain.e.s, lorsque nous hochons la tête ou levons le pouce pour marquer notre accord. 

    Nous avons tous.tes fait l’expérience d’animaux.ales exprimant des émotions comme l’aversion ou l’attirance avec leur corps : un.e chat.te qui lève le menton pour se faire caresser, ou au contraire qui mordille pour qu’on le.a laisse tranquille… En fait, ils/elles sont capables de nous faire comprendre « oui » et « non ». C’est ainsi que l’on peut définir la notion de « consentement incarné ». Selon David Fennel, « le corps est relationnel, situé et affectif, ce qui permet aux animaux.ales d’exprimer leurs préférences autrement que par la parole. Les exemples incluent les expressions faciales, la libération d’hormones et la manifestation, par exemple, de la peur, de l’anxiété, de l’hésitation et de la méfiance » [6].

    Il ne fait désormais plus aucun doute pour moi qu’au moins certains animaux.ales non humain.e.s sont capables d’exprimer leur consentement. La question cruciale est maintenant la capacité des humain.e.s à interpréter correctement le langage des autres animaux.ales, l’expression de leur consentement, et à le mettre en perspective avec le bien-être de l’animal.e, qui peut être menacé par son propre désir.

    Hope Ferdowsian, présidente de Phoenix Zones Initiative, une organisation à but non lucratif qui œuvre pour « la santé et le bien-être interdépendants des personnes, des animaux.ales et de la planète », affirme que nous pourrions comprendre le consentement des animaux.ales grâce à leur langage corporel, mais que leurs émotions et leurs sentiments ne nous intéressent tout simplement pas : « Comme de nombreux êtres humains vulnérables, les animaux.ales sont capables, bien que souvent privé.e.s, de prendre des décisions éclairées concernant leur vie. Les animaux.ales peuvent exprimer leur assentiment et leur désaccord, mais nous respectons rarement leur souveraineté personnelle d’une manière qui reconnaisse leur aptitude à faire des choix. Le jeu et la coopération entre les animaux.ales sont des exemples de la manière dont ils et elles peuvent exprimer leur consentement les un.e.s avec les autres, mais nous ne parlons pas la langue des autres animaux.ales, et ils/elles ne parlent généralement pas la nôtre. Même lorsqu’ils/elles nous font part de leur désaccord, leurs sentiments sont souvent ignorés ». [9] Le point de départ pour comprendre le consentement des animaux.ales pourrait donc être de comprendre d’abord leur comportement en l’étudiant en profondeur et en s’y intéressant.

    Il est essentiel de tenir compte également du contexte. D’une manière générale, on pourrait dire qu’un.e animal.e libre de ses mouvements, comme un cheval ou une jument par exemple, est également libre de s’enfuir ou de se battre s’il/elle n’est pas consentant.e. Ainsi, si l’animal.e ne s’éloigne pas ou ne se bat pas, est-il équivalent de dire qu’il/elle consent ? La question est bien sûr rhétorique. Il est possible que l’animal.e ne bouge pas parce qu’il/elle est tétanisé.e par la terreur, la douleur ou les deux. Il/elle peut aussi être conscient.e que manifester son désaccord conduirait à une situation encore pire : punition, représailles… De la même manière que pour les humain.e.s, le consentement ne peut être exprimé dans un contexte de menace, de douleur ou de peur. L’étude de l’environnement et du contexte est donc un élément important de l’évaluation du consentement. D’aucun.e.s pourraient se demander alors comment respecter le consentement « sexuel » des vaches et des poules exploitées pour leur lait et leurs œufs. Dans les élevages intensifs, la réponse est évidente : il n’est pas nécessaire d’observer et d’analyser le comportement des vaches lors de la traite, car le contexte de peur, de souffrance et de menaces de punition disqualifie toute notion de consentement. L’absence de réaction de la part de l’animal.e, dans ces conditions, ne peut permettre de conclure à un consentement.

    J’aimerais revenir sur la deuxième partie de la compréhension et du respect du consentement de l’animal.e, à savoir la prise en compte des intérêts de l’animal.e lorsqu’il/elle exprime, ou non, son consentement. Cela peut être illustré par un.e enfant : l’enfant peut avoir la volonté de (et donner son consentement pour) manger un paquet de bonbons tous les jours, mais cela va à l’encontre de son bien-être. Dans un contexte médical, on peut se demander comment agir lorsqu’un.e animal.e semble refuser, et donc ne pas donner son consentement, à un traitement dont on sait qu’il le.a soulagera. Avons-nous le droit, comme pour un.e enfant, de passer outre le consentement si c’est dans l’intérêt de l’animal.e ? De mon point de vue, cette situation peut permettre de passer outre le consentement, mais il est essentiel que cela se fasse en douceur, avec le plus de respect possible pour préserver la dignité de l’animal.e et ses souhaits.

    Je ne pense pas que l’impossibilité de parler la même langue soit une limite lorsqu’il s’agit de comprendre le consentement d’autres animaux.ales. Enfin, tout comme avec un.e autre humain.e, je pense que la seule chose requise est l’intérêt, la considération et le respect pour la personne humaine ou non humaine avec laquelle nous sommes en relation. Soyez attentif.ve à son comportement, à ses expressions faciales, à son regard, à ses « mots » (oui, non, ronronnement, grognement…). La personne semble-t-elle calme, sereine, excitée, agitée, nerveuse ? Tous ces signes dépassent les frontières de l’espèce. Il suffit de faire preuve d’empathie.

    La première habitude à prendre pourrait être de s’assurer que votre chat.te, votre chien.ne ou tout.e autre animal.e de compagnie est consentant.e avant de le.a caresser. Nous avons pris l’habitude de caresser un.e animal.e comme une évidence, comme si l’animal.e de compagnie était fait.e pour cela. Cherchez plutôt un véritable échange, adoptez une attitude interrogative : observez l’animal.e, mettez-vous à sa hauteur, approchez doucement votre main, lisez son comportement, et mettez votre ego de côté s’il/elle ignore tout simplement votre demande : il/elle n’en a pas envie pour l’instant, et c’est son droit.

    Conclusion

    L’objectif de cet article était de discuter du consentement des animaux.ales, non pas pour apporter la preuve que les animaux.ales non humain.e.s peuvent effectivement consentir, ce qui ne fait aucun doute pour quiconque a déjà observé un.e animal.e avec intérêt, mais pour décrypter la place qui lui est accordée dans notre société actuelle et adopter une approche différente, qui consiste à apprendre, en tant qu’animaux.ales humain.e.s, à décoder et à analyser correctement le consentement des autres animaux.ales. Je reconnais qu’il n’est pas toujours facile de comprendre les autres espèces. De plus, mon article se concentre sur les mammifères, en utilisant les exemples des tigres.ses du zoo et des chien.ne.s de traîneau, pour lesquels il semble possible de comprendre leur consentement. Mais on peut se demander ce qu’il en est des espèces qui nous ressemblent le moins, comme les poissons ou les abeilles. 

    Je pense que la chose la plus importante à retenir est que les animaux.ales devraient avoir le droit de donner ou de refuser leur consentement, et qu’ils/elles devraient avoir le droit de voir leur décision respectée. En tant qu’humain.e.s, dont le langage et le comportement peuvent différer de ceux des autres espèces que nous rencontrons, il est essentiel de considérer les autres animaux.ales comme des personnes libres et d’interagir avec elles/eux en se posant constamment les questions soulevées dans cet article. D’une manière générale, s’assurer du consentement de la personne (humaine ou non humaine) avec laquelle on interagit est un fondement essentiel de toute relation saine et égalitaire.

    Jade Franchitto

    Bibliographie

    [1] Cambridge Dictionary, “Meaning of consent”.

    [2] Éducaloi, « Le consentement sexuel ».

    [3] UNFPA, “Five things you need to know about consent”.

    [4] FHI360, “Informed consent ».

    [5] AMA Code of Medical Ethics, “Informed consent”.

    [6] Science Direct, “Animal-informed consent: sled dog tours as asymmetric agential events”, David A. Fennell, 2022.

    [7] Crosscut, “Why Woodland Park Zoo is making more animal vaccinations ‘voluntary?‘”, Hannah Weinberger, 2022.

    [8] “ »Mad Cow » disease and the animal industrial complex”, Carol J. Adams, 1997

    [9] “The meaning and importance of consent for people and animals”, Hope Ferdowsian, 2016.

    Une réponse à « Le consentement animal »

    1. Mouais. Cet article a le mérite de s’intéresser au sujet et de le questionner, mais reste très à distance de la situation réelle. La notion de consentement ne peut se comprendre que s’il y a une réelle compréhension des tenants et aboutissants de la situation et de l’acte auquel on consent. Même pour un humain, c’est un prérequis.

      Imaginez un enfant qui dit « oui » ouvertement à une relation sexuelle. Imaginez une femme qui dit oui à une relation qu’elle imagine classique et se retrouve dans une situation de véritable viol. Imaginez aussi le même enfant dire non à un médicament qui va lui sauver la vie, tout ça parce qu’il pense à une douleur attendue terrible et à une aiguille, alors qu’on va juste lui faire boire un verre avec le médoc dedans.

      Résultat : oui, c’est facile avec un animal qu’on connaît et dont on est proche d’établir un « consentement » pour des choses simples comme les caresses, et de se dire que l’animal comprend et qu’on l’écoute. Mais ça, c’est déjà complexe et souvent mal interprété. Qui a déjà eu un chat sur les genoux, qui « aime les caresses » puis d’un coup se met à mordre et partir ? Les éthologues savent bien qu’alors il y a eu des mésinterprétations. De même, le nombre de personnes avec « leur » chien ou chat ou cheval qui lisent mal les réactions de l’animal et se font des films sur ce qu’ils aiment ou pas est proprement faramineux.

      Donc avec un animal plus distant, c’est plus complexe.

      De plus, il y a le prolongement moral du consentement, pas que sa réalité intellectuelle…je vois un faon avec une fracture. Je vais essayer de l’aider, mais il va essayer de fuir, me refusant ouvertement et indéniablement son consentement. Le laisse-je mourir ? Est-ce une violence de ma part que de le sauver, puis le relâcher, sans son consentement lui donner des années de vie tout en sachant que même au dernier jour de son relâcher il me refuserait son consentement ?

      Et finalement, l’article est très à distance parce qu’il utilise des jumelles pour observer des choses proches. « L’expérience intéressante » du zoo de Seattle s’appelle du training médical, c’est une pratique généralisée de dressage qui facilite la vie des soigneurs et des animaux, ce n’est pas une manière d’obtenir le consentement mais une manière de le forcer (tout comme le conditionnement des animaux de spectacle, otaries, éléphants, lions, etc…)…Alors, oui, c’est dans l’intérêt de l’animal, mais ce n’est pas l’obtention du consentement. Même approche pour les chiens de traineau : c’est un cas particulier, que dire des chiens de chasse, qui sont le plus souvent totalement libres de faire ce qu’ils font aussi quand ils sont tous seuls ? Que dire des dauphins des Marineland, qui montrent des signes visibles de bien-être quand ils nagent avec des humains ? Est-ce du consentement, parce qu’ils n’ont pas de fardeau associé ?

      C’est aussi tangent pour le consentement à la reproduction : ne pas oublier que nombre d’élevages de mammifères sont dits « en monte naturelle », où les animaux s’accouplent et se reproduisent de leur propre chef, sous l’appel des hormones…y a-t-il consentement parce qu’il n’y a pas insémination artificielle ? (au passage, le terme « rape racks » est né justement de l’opposition à l’élevage aux USA dans les années 40-50, il a été repris par moquerie par les éleveurs, il ne faut pas y voir une reconnaissance d’un viol réel ou supposé).

      Bref, c’est bien d’en parler, mais attention aux interprétations, aux cas particuliers et aux généralisations….

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