Réglo ne défend pas les animaux

Vous l’avez peut-être vue passer. Une entreprise du nom de Réglo. Son but ? Vendre des croquettes pour chiens et chats à base d’insectes.

Voilà une idée qui en révulsera plus d’un. Mais il serait bien précipité de s’en tenir à un simple sentiment de dégoût, sans chercher plus loin. Pourquoi vendre des croquettes à base d’insectes ? Selon eux, il s’agit d’offrir des produits sains, « sans rien de bizarre à l’intérieur », et respectueux de l’environnement [1]. Plus surprenant : leur communication semble, au premier abord, animaliste. « Et si vos croquettes pour chien ne venaient pas d’abattoirs ? », « Aucun soutien à l’industrie de la viande », « Comment nourrir son chien quand on est sensible à la cause animale ? », voici quelques phrases qu’on peut lire sur leur site et leurs publicités.

Tout cela tient-il debout ? Pas sûr…

Des croquettes plus écologiques ?

Première promesse : ces croquettes à base d’insectes — plus précisément à base de mouche soldat noire — seraient plus écologiques. Il est vrai que, si l’on compare les insectes et les vertébrés, à savoir les poulets, les cochons et les bœufs, ces premiers ont un meilleur food conversion ratio, c’est-à-dire qu’ils nécessitent moins de végétaux pour produire la même quantité de viande [2]. Ils sont également moins émetteurs de gaz à effet de serre [3].

Infographie visible sur le site de Réglo (https://www.reglo.fr/pages/pourquoi-les-insectes

Cependant, il manque une donnée essentielle : les croquettes classiques sont en grande partie issues de coproduits, c’est-à-dire de viande non utilisable pour les humains. Or, les coproduits, par principe, ne sont pas les débouchés majeurs de l’élevage. Par conséquent leur contribution aux dégâts imputés à l’élevage est moindre. Il est donc peu pertinent de comparer 1 kg d’insectes et 1 kg de viande destinée à la consommation humaine. On lit dans cette étude [4] que la production d’1 kg de protéines à base d’insectes — de mouche soldat noire — émettrait entre 3 et 19 kg d’équivalent CO2, alors que de la nourriture pour chiens et chats à base de bœuf ou de poulet émettrait… entre 1 et 2 kg. Il semble donc que les croquettes d’insectes ne sont pas plus écologiques. On peut même dire qu’elles le sont moins.

Un élevage plus éthique ?

Pourquoi élever des insectes — plus précisément la mouche soldat noire — serait plus éthique qu’élever des vertébrés ? En 2021, dans une interview donnée à Mr Mondialisation, les fondateurs de Réglo expliquaient que les insectes « n’ont pas de terminaisons nerveuses capables de transmettre la douleur. » [5] Affirmation non-sourcée et fausse.

En 2022 est parue une méta-analyse sur la capacité des insectes à ressentir la douleur [6]. Cette méta-étude se basait sur 8 critères, liés à la neurobiologie ou au comportement des animaux. Parmi ces critères, la possession de nocicepteurs, c’est-à-dire de neurones transmettant des informations à l’origine de la sensation de douleur, est un critère partagé par l’ensemble des insectes étudiés. Plus encore, deux ordres d’insectes, à savoir les Blattodae et les Diptères — dont font partie les mouches soldats noires — satisfont 6 critères de la douleur, ce qui constitue, d’après les chercheurs, un « fort niveau de preuve » qu’ils peuvent souffrir. Un fort niveau de preuve de leur sentience donc, c’est-à-dire, de leur capacité à ressentir, à vivre des expériences à la première personne.

Mouche soldat noire à l’état larvaire et adulte.

Alors se pose une question : si les insectes sont sentients, sont-ils élevés dans la souffrance ? Réglo assure qu’ils sont élevés « dans des conditions semblables à celles de [leur] milieu naturel » [7], c’est-à-dire, à fortes concentrations. Ce qui, sous-entendu, respecterait leur bien-être. Voilà qui est entendable… Mais en réalité, on n’en sait pas grand-chose.

Actuellement, aucune étude n’a pu évaluer le bien-être des insectes d’élevage. Les principaux experts du sujet, par exemple ceux travaillant au Insect Institute, n’ont pas tranché la question. On ne sait pas s’ils éprouvent plutôt du confort ou de l’inconfort, plutôt de la satisfaction ou de la frustration, plutôt du plaisir ou de la douleur. Quand Réglo prétend que « pour limiter toute éventuelle douleur, nos insectes sont tués par le froid », ils ne donnent aucune source à cette affirmation osée.

Plus encore, Réglo omet de mentionner quelques aspects troubles ou inquiétants de l’élevage d’insecte [8] :

– Un taux de mortalité avant l’abattage qui n’est pas négligeable. Chaque année dans le monde, sur les 1 200 milliards d’insectes tués, entre 250 et 300 milliards le seraient avant l’abattage [9] — pour rappel, on tue environ 80 milliards de vertébrés d’élevage chaque année.

– Il est très probable que dans un futur proche, les entreprises sélectionnent ou modifient les insectes pour augmenter leur productivité. Des larves de mouches soldats noires ont ainsi été modifiées génétiquement pour avoir un poids 300% plus important que la normale. C’est le même processus qui a conduit, dans le passé, à créer des souches de poulet quatre fois plus grosses que la normale, à peine capables de supporter leur propre poids. Il est possible que de pareils problèmes émergent avec les insectes [a].

– Les insectes sont si nombreux qu’il est impossible, en pratique, d’avoir un traitement individualisé pour chacun. Ils sont traités comme un tout. Si certains sont blessés ou tombent malades, ils ne sont certainement pas soignés.

– Enfin : les insectes sont beaucoup plus petits que les bœufs, les cochons ou les poulets — une larve de mouche soldat noire pèse moins d’un dixième de gramme. Donc pour fabriquer une même quantité de croquettes, il faudra élever et tuer au bas mot 10 000 fois plus d’individus.

Ainsi, s’il s’avérait que les insectes vivent dans de mauvaises conditions, on démultiplierait la souffrance animale d’un facteur gigantesque. Prétendre que l’élevage d’insectes serait plus éthique que l’élevage de vertébrés, c’est faire un pari très risqué.

Sans compter que, comme nous l’avons dit, les croquettes classiques sont en grande partie issues de coproduits ; d’après cet article [10], elles contribueraient relativement peu à l’exploitation animale. De l’autre côté, la petfood, c’est-à-dire la nourriture pour animaux de compagnie, c’est 50 % des débouchés de l’élevage d’insectes [11]. Donc en achetant des croquettes d’insectes, on contribue fortement à l’élevage d’insectes, sans sauver beaucoup de vertébrés.

Et pourquoi pas des croquettes végétales ?

Mais alors, vous vous demandez sûrement : pourquoi diable s’évertuer à faire des croquettes d’animaux ? Si Réglo défend les animaux, pourquoi ne pas développer des croquettes… sans animaux, ni vertébrés, ni insectes ? C’est à ce stade que leur réponse est la plus déroutante.

« Le chien est par nature un carnivore non strict, dont l’organisme est certes capable de métaboliser des végétaux, mais qui le prédispose biologiquement à couvrir ses besoins essentiels avec des protéines et des lipides d’origine animale. » [12]

Voilà qui est fallacieux. Ce qui importe, nutritionnellement parlant, c’est la nature des acides aminés et des lipides que les animaux consomment, pas leur origine animale ou végétale [b]. Comme l’expliquent Adronie Verbrugghe et Myriam Hesta dans une étude portant sur les chats, mais dont le propos s’appliquerait tout autant aux chiens :

« Parfois le fait que les chats sont des carnivores stricts est compris comme le fait qu’ils ne peuvent subvenir à leurs besoins nutritionnels qu’en consommant des tissus animaux. C’est incorrect d’un point de vue nutritionnel car les animaux, chats y compris, ont besoin de nutriments spécifiques et non d’ingrédients spécifiques. » [13]

Pour justifier que l’alimentation végétale serait dangereuse et inadaptée aux chiens, Réglo invoque l’avis de Géraldine Blanchard, pour qui « ce régime n’est jamais optimal, et difficile à équilibrer même pour couvrir le minimum » [14]. Hélas, dans la pyramide des preuves, un avis d’expert a moins de valeur qu’une étude — surtout si l’avis est antérieur à cette étude.

Justement, en 2022 est sortie une grande étude, comparant la santé de 2600 chiens : ceux nourris avec de la nourriture végétale — nutritionnellement complète —, ceux nourris de manière conventionnelle, et ceux nourris avec de la viande crue [15]. Résultat ? Ces premiers sont ceux qui souffrent le moins de problèmes de santé. Une méta-étude parue en 2023 appelait à la prudence, mais concluait qu’il n’y avait pas de preuve convaincante d’effets indésirables liés aux régimes végétaliens chez les chiens et chats, et quelques preuves d’effets bénéfiques [16]. Une autre étude de 2021 concluait que :

« les aliments végétaliens pour animaux de compagnie sont généralement au moins aussi appétissants pour les chiens et les chats que les régimes conventionnels à base de viande ou de viande crue, et qu’ils ne compromettent pas leur bien-être, [lorsqu’ils satisfont leurs besoins nutritionnels]. » [17]

De fait, il semble tout à fait possible, et viable, de nourrir son chien, voire son chat, avec de la nourriture végétale adaptée. D’ailleurs, que sait-on des effets des aliments à base d’insectes sur la santé des animaux de compagnie ? Pas grand-chose, peu d’études ayant été faites sur le sujet [18] : il est donc incohérent d’appeler à la prudence sur les croquettes végétales tout en vantant les bienfaits des croquettes d’insectes.

Et si vous vous posiez la question, la petfood à base de végétaux émet moins de gaz à effet de serre que celle à base d’insectes ; et, selon le végétal utilisé, autant ou plus que la petfood conventionnelle [19].

Réglo ne défend pas les animaux

Bref, difficile de ne pas douter de la sincérité de Réglo, tant son commerce va à l’encontre de ses intentions affichées. Une entreprise qui entend protéger les animaux, en en tuant d’autres et en plus grand nombre, qui s’oppose à l’industrie de la viande, au profit d’une industrie tout autant voire plus douteuse, une entreprise qui prétend protéger l’environnement, avec des produits dont l’empreinte carbone est probablement la plus élevée : voilà qui a de quoi étonner. Heureusement, rien ne l’empêche de se lancer dans les croquettes végétales. Ce serait un sacré changement pour Réglo et ses employés, mais un changement juste, nécessaire, et plus en accord avec leurs propres valeurs.


Notes :

[a] À supposer que Réglo ne procède pas à ces manipulations : en promouvant l’élevage d’insectes pour les animaux de compagnie, peut-être encouragera-t-il d’autres entreprises à se lancer.

[b] D’ailleurs, si l’origine des nutriments avait une importance, n’y aurait-il pas un problème à donner des protéines d’insectes à des chiens, qui sont certes carnivores, mais pas insectivores ?

Sources :

[1] https://www.reglo.fr/pages/notre-mission

[2] Van Huis, A. (2013). Potential of insects as food and feed in assuring food security. Annual review of entomology, 58, p.566

[3] Halloran, A., Hansen, H. H., Jensen, L. S., & Bruun, S. (2018). Comparing environmental impacts from insects for feed and food as an alternative to animal production. Edible insects in sustainable food systems, p.167

[4] Bosch, G., & Swanson, K. S. (2021). Effect of using insects as feed on animals: pet dogs and cats. Journal of Insects as Food and Feed, 7(5), p.801-802

[5] https://mrmondialisation.org/reglo-des-croquettes-pour-chien-eco-responsables-made-in-france/

[6] Gibbons, M., Crump, A., Barrett, M., Sarlak, S., Birch, J., & Chittka, L. (2022). Can insects feel pain? A review of the neural and behavioural evidence. Advances in Insect Physiology, 63, 155-229.

[7] https://www.reglo.fr/pages/pourquoi-les-insectes

[8] Barrett, M., & Fischer, B. (2023). Challenges in farmed insect welfare: Beyond the question of sentience. Animal Welfare, 32, e4.

[9] https://rethinkpriorities.org/publications/insects-raised-for-food-and-feed

[10] https://estivareus.com/blog/post/?permalink=petfoodimpactokin

[11] Sogari, G., Oddon, S. B., Gasco, L., van Huis, A., Spranghers, T., & Mancini, S. (2023). Recent advances in insect-based feeds: from animal farming to the acceptance of consumers and stakeholders. animal, 100904.

[12] https://www.reglo.fr/blogs/reglo/les-chiens-sont-ils-des-carnivores

[13] Verbrugghe, A., & Hesta, M. (2017). Cats and carbohydrates: the carnivore fantasy?. Veterinary sciences, 4(4), 55.

[14] https://www.reglo.fr/blogs/reglo/les-chiens-sont-ils-des-carnivores

[15] Knight, A., Huang, E., Rai, N., & Brown, H. (2022). Vegan versus meat-based dog food: Guardian-reported indicators of health. PLoS One, 17(4), e0265662.

[16] Domínguez-Oliva, A., Mota-Rojas, D., Semendric, I., & Whittaker, A. L. (2023). The impact of vegan diets on indicators of health in dogs and cats: a systematic review. Veterinary Sciences, 10(1), 52.

[17] Knight, A., & Satchell, L. (2021). Vegan versus meat-based pet foods: Owner-reported palatability behaviours and implications for canine and feline welfare. PLoS One, 16(6), e0253292.

[18] Valdés, F., Villanueva, V., Durán, E., Campos, F., Avendaño, C., Sánchez, M., Domingoz-Araujo, C., Valenzuela, C. (2022). Insects as feed for companion and exotic pets: a current trend. Animals, 12(11), 1450.

[19] Acuff, H. L., Dainton, A. N., Dhakal, J., Kiprotich, S., & Aldrich, G. (2021). Sustainability and pet food: is there a role for veterinarians?. Veterinary Clinics: Small Animal Practice, 51(3), 563-581.

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